ECO-POIËSIS > La révolution naturelle n’aura pas lieu

14.03.2023

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La révolution naturelle n’aura pas lieu

La révolution naturelle

La révolution naturelle n’aura pas lieu

  • Bioéconomie
  • De natura
  • Au début des années 2000, il y a eu comme un vent nouveau avec les premières marques naturelles. Désormais, toutes affichent leurs engagements pour la planète et se tournent vers des ingrédients bio-sourcés.  La nature devient La Source d’inspiration de la science et des technologies.   On évoque une transformation radicale, un véritable changement de paradigme. Cependant, en repliant le naturel sur le développement durable et la clean beauty, il se pourrait bien que l’industrie de la beauté manque le véritable enjeu de la révolution naturelle, à savoir une autre pensée de la nature et, à travers elle, de nouvelles approches de l’innovation et peut-être, certaines valeurs essentielles aux marques de demain.

    En travaillant sur des plateformes de marques ou en développant pour elles de nouveaux contenus, nous sommes amenés à inscrire la démarche des entreprises dans une vision du monde.  Aujourd’hui, le mouvement amorcé de la transition écologique parait fournir, pour toutes et tous, un nouveau cadre de valeurs s’imposant comme une évidence.  Mais s’agit-il bien d’un changement de cadre conceptuel ?  L’intégration du développement durable par les marques change-t-elle la nature même des pratiques ou ne fait-elle qu’ajouter de nouvelles contraintes aux organisations déjà en place ? Ajoute-t-elle des revendications aux propositions classiques ou permet-elle d’envisager le soin autrement ?  Comment se fait-il que des entreprises qui investissent considérablement dans le développement durable soit in fine taxées de green-washing ? Comment expliquer le sentiment grandissant de fatigue partagé par certains acteurs et peut être un nombre croissant de consommateurs, en lieu et place d’un sentiment d’exaltation qui serait celui d’une révolution en marche ?

    Restituer l’humain au coeur du vivant 

    Crise écologique.  Nécessité de faire autrement.  On pourrait s’attendre à une pensée neuve et de nouveaux discours.  Or, force est d’en faire le constat : l’avènement de La Nature dans les nouveaux récits de la beauté tient en vérité davantage de la réaction que de la révolution. En s’inspirant de l’Intelligence de La Nature, en préservant la biodiversité ou la planète, en exploitant durablement ses ressources, la cosmétique continue de penser et s’exprimer selon des termes établis au fil des siècles précédents.  C’est à dire à penser depuis une position en dehors (au-dessus ?) de la nature.  Elle échoue à resituer l’humain au sein du vivant et à penser les êtres comme des entités essentiellement relationnelles. Ce faisant, elle manque les idées émergentes de la philosophie ou de l’ethnologie sur la nature.  Certes la philosophie n’est peut-être pas assez présente dans le monde de l’entreprise.  Mais ces idées sont également suscitées avec force par les nouvelles données scientifiques. L’intelligence du microbiome, le développement des epi-sciences ou celles du système terre.  Et si l’industrie, y compris les marques à l’avant-garde de l’innovation étaient en retard d’un siècle ?

    (Re)Déplier le concept de bioéconomie 

    Ces idées émergent en philosophie et en science.  Mais elles sont aussi celles, au départ, de la bioéconomie. Éminemment structurante par ses démarches et ses concepts, la bioéconomie est possiblement la source de nouvelles narrations et, partant, d’une nouvelle éthique. En effet, à travers ses différentes acceptions, le mot bioéconomie parle des relations au sein d’écosystèmes biologiques, de modélisation des variables biologiques et économiques, d’interdisciplinarité, de symbioses industrielles, de transformation de la biomasse par le vivant lui-même, d’économie circulaire… Elle prend effectivement la terre comme système et y réinscrit l’activité humaine.  La bioéconomie porte ainsi le potentiel de faire advenir une pensée systémique et intégrative du vivant dans l’univers de la beauté.  Cependant, l’industrie en ne changeant pas son cadre conceptuel, focalise la bioéconomie sur la circularité, c’est à dire la capacité à transformer plantes et micro-organisme en véritables usines dédiée à la poursuite d’un développement durable dans la gestion rationnelle des limites planétaires. Ainsi, elle ne fait rien d’autre que reconduire, en l’amplifiant comme jamais auparavant, cette même vision naturaliste que l’on pensait obsolète et inapte à penser le monde de demain. Or nous avons fondamentalement besoin d’autre chose.

    Amorcer le processus de transformation

    Nous avons besoin d’autre chose parce que beaucoup parmi les plus jeunes interrogent leur être au monde lorsqu’ils ne sont pas dans une forme de désolation existentielle.  Qu’est-ce qu’être une marque qui fait sens pour eux.  A travers quoi se joue les nouveaux désirs de sincérité. Mais aussi, aujourd’hui, pour celles et ceux qui travaillent dans l’entreprise ? Un packaging recyclable change-t-il vraiment la donne ?

    Nous avons besoin d’autre chose parce que, de façon très prosaïque, tout formulateur vous dira qu’on ne remplace pas un silicone ou un dérivé pétrochimique par un ingrédient bio-sourcé dans un rapport 1 pour 1.  Alors ajoutons nous aux châssis existants ou repensons nous la formule – y compris au risque de faire bouger les sacro-saintes « vaches à laits » ? 

    Nous avons besoin d’autre chose, parce que sans sortir des silos des organisations actuelles, sans convoquer l’interdisciplinarité, il y a peu de chances que l’innovation se saisisse des dimensions systémiques du sourcing, des voies d’actions biologiques ou des dimensions holistiques du soin.

    La liste pourrait ainsi continuer longtemps.  Alors que faire ? Et bien les réponses à cette question ne préexistent pas. Ou plutôt si.  Elles consistent à commencer par le commencement. Par amorcer le processus. Revisiter les concepts – et d’abord celui de nature – pour en fonder de nouveaux et inscrire son action dans une nouvelle vision du monde et de l’humain dans le monde. Aujourd’hui, ce serait là le premier travail de la prospective. Non pas seulement anticiper les tendances de demain mais penser ce qui serait une nouvelle éthique. 

    Ce travail peut se faire très en amont.  Mais il peut aussi se faire aussi de façon très pragmatique en exposant les acteurs de l’innovation aux nouvelles pensées du vivant.  En décloisonnant les pratiques pour croiser science, philosophie et prospective.  En travaillant par petits groupes et en réouvrant les perspectives directement sur le terrain.  En permettant que de nouvelles intuitions adviennent. Car c’est là que s’inventent les preuves de concepts dont les visions ont besoin pour mesurer leur possible effectivité.