Permanovation,
retrouver l’émotion d’innover
Encore un nouveau mot ? Oui, il arrive que l’époque en ait besoin pour désigner de nouveaux concepts que les mots existants ne permettent pas de dire clairement. Alors de quoi s’agit-il ? Au départ il y a cette idée selon laquelle le progrès, et donc l’innovation, puisse être pensé à la fois comme la clé et la cause des crises que nous traversons. Il y a aussi l’intuition que le développement durable ne dessine pas tout l’horizon de l’innovation désirable – entendre plus intégrative, plus agile et surtout plus sensible. Il y a le sentiment que d’autres voies sont à explorer dans lesquelles la science et les technologies accordent une place plus grande au vivant, à l’intuition justement, et aux sens – les sens comme objets d’études autant que comme facultés de connaissances.
Prendre en charge le sensible
Le mouvement était là depuis de nombreuses années. La crise sanitaire l’a amplifié. La sensibilité est devenue un enjeu central de nos sociétés. Penser vulnérabilité de l’environnement ou vulnérabilité de l’humain. Songer à l’importance que revêt la question (nouvelle ?) de la santé mentale. La modulation des émotions, la protection contre le stress ou la promotion du bien-être sont désormais des motifs premiers pour la beauté, la nutrition ou la santé – on redécouvre ainsi que ces domaines de l’idéal et de la performance sont aussi ceux de l’intime et du sensible ! Et parce que l’industrie doit désormais s’ouvrir à la diversité, elle est appelée à permettre l’acceptation de la différence autant que de la faille. À redéfinir ses catégories et à s’exprimer avec toujours plus de subtilité. La vulnérabilité oblige l’industrie au sensible ! Il convient alors d’innover autrement et de produire de nouveaux discours de l’innovation en s’intéressant à autre chose que la pure recherche de performance.
Innover autrement
Le développement durable paraît prendre en charge la question de la vulnérabilité. Nous tenons qu’en réalité, elle la court-circuite. Parce qu’il doit permettre la mise en œuvre de politiques à grande échelle, parce qu’il doit faire preuve de résultats évalués sur un nombre limité d’indicateurs quantifiables, mais aussi parce qu’il continue de penser la nature comme espace de ressources, le vulnérable en tant qu’il met en jeu le sensible, échappe au développement durable. Cela laisse donc la place à une pensée alternative de l’innovation qui aurait le soin – au sens de Care – pour objet et prendrait non plus seulement la performance, mais également le sensible comme prisme-boussole ! De ces idées est né le concept de Permanovation, un mot formé à partir de Permanence et d’Innovation. Comme le mot de permaculture l’a été à partir de Permanence et de Culture. De cette filiation nous reprenons la dimension alternative, une certaine pensée du vivant et la capacité à produire du design – c’est-à-dire à reconfigurer l’organisation de nos écosystèmes d’innovation, la capacité à fertiliser le croisement des expertises, à repenser la fonction du récit, et ce, de façon à améliorer la prise en charge du sensible tout en gagnant en agilité et en résilience. De quelles façons ?
Vers une organisation biomimétique
Dans sa recherche d’innovation durable, le biomimétisme est souvent présenté comme une voie royale. Si la nature fait bien les choses, autant apprendre d’elle ! Et si l’innovation appliquait ce principe à sa propre organisation ? Alors que le vivant nous parle de symbiose, de systèmes mutualistes, d’écosystèmes et de l’importance des interactions, comment se fait-il que l’organisation de l’innovation continue de se faire en silo et d’avancer de façon séquentielle ? Pourquoi est-il si difficile de mettre en jeu le croisement des disciplines. Il nous paraît justement qu’à partir de l’observation de la nature, nous pourrions développer cette attention au vulnérable, à ce qui n’est pas d’emblée visible, à ce je-ne-sais-quoi de fragile qui fait tenir ensemble les plus extraordinaires organisations. Le premier principe de la Permanovation consisterait donc à organiser les conditions de la diversité des expertises et de la fertilisation croisée. Son second, serait de valoriser la mise en jeu du sensible dans la science.
Réconcilier l’imagination et la science
Nous l’oublions peut-être en ces temps de reconnexion à la nature, mais l’idée fixe de la pensée occidentale a longtemps été précisément de s’affranchir de la nature : s’affranchir d’une nature imprévisible et bouleversante, s’affranchir d’un corps limité et faillible, de sens trompeurs et d’affects qui nous voilent le bon sens et empêchent la raison. Peu à peu s’élabore le mythe d’une science qui serait faite de raison pure pour accéder à la vérité du monde. Pourtant il suffit d’un peu d’histoire des sciences pour réaliser combien celle-ci se tisse d’intuition, de mise en jeu des sens, de fréquentation de l’art et de sérendipité ! Le chercheur avance aussi grâce à une étonnante faculté de proprioception, une capacité à se saisir de ce qui paraît échapper à la raison, de se mouvoir dans des environnements complexes. Il y a comme un sixième sens du chercheur inspiré, un instinct du technicien ingénieux, une muse du vulgarisateur. Cette faculté à mettre en jeu le sensible dans la connaissance du monde, nous l’appelons Imagination. Et celle-ci nous paraît la clé d’une innovation consciente, d’une innovation qui souhaite prendre en charge cette vulnérabilité qui nous occupe.
Amorcer le processus
Si le concept a été formalisé ces derniers temps, ses principes sont depuis le départ ceux qui ont animé les approches de Re-Source dans son accompagnement des marques et de l’innovation. Challenger les briefs et prendre le temps de resituer les projets dans le contexte plus large d’une pensée du vivant. Organiser le regard croisé des sciences. Passer par le travail de l’écriture pour se saisir de questions scientifiques à partir de l’Imagination et non pas seulement des « datas ». Et organiser une restitution syncrétique propre à intégrer le sensible, le subtil et la dimension émotionnelle. Aujourd’hui ces questions nous paraissent centrales dans les univers qui sont les nôtres : le soin, la beauté, la nutrition ou la santé. La prévalence de la peau sensible en est peut-être le signe le plus saillant. Alors en élaborant le concept de Permanovation, nous souhaitons favoriser l’appropriation et la mise en action de ses principes par les marques, la communication scientifique, le développement produit et la recherche. De l’organisation d’ateliers ou de séminaires visant à s’exposer à de nouveaux concepts, à l’accompagnement de projets ou la création de nouveaux narratifs, la Permanovation se donne à voir comme un prisme neuf propre à réorienter les esprits et retrouver du sens dans l’innovation.