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le pouvoir oublié des textures

07.03.2023

6 minutes

Soin et émotion,
le pouvoir oublié des textures

Soin et émotion,
le pouvoir oublié des textures

  • Emotion Care
  • Innovation sensible
  • Alors que la cosmétique investit depuis quelques années déjà le domaine des émotions, se peut-il que l’intérêt porté à l’olfaction et aux actifs nous ait fait manquer la part la plus tangible de l’affaire ? Je veux parler des textures et du toucher, de la relation entre expérience sensorielle et émotions, soit ce qui constitue peut-être le domaine propre du cosmétique.

    L’époque est assurément aux émotions. Il y a les softs skills comme on parle de soft power, l’intelligence émotionnelle et le quotient émotionnel. Il y a le succès des Apps liées au bien-être et à la santé qui visent notamment à réduire le stress ou l’anxiété. Il y a les émojis : imagine-t-on encore écrire un message sans ? Plus près de nous, la cosmétique n’échappe pas au phénomène. Elle explore les territoires du bien-être et les approches holistiques. En septembre dernier, l’IFSCC consacrait une session aux émotions – ou plus exactement aux neurosciences et au projet d’engager notre cerveau et nos émotions.

    La chose n’est évidemment pas nouvelle. Dans le domaine du parfum, les #MoodScentz de Givaudan, les #ActiMood de Symrise AG ou les #Actiscentsde Robertet Group sont toutes des solutions qui visent à agir sur les émotions de façon objectivée. On y retrouve la grande idée de l’aromachologie. L’application d’huiles essentielles en milieu hospitalier comme à l’initiative de GATTEFOSSÉ fait ici un travail remarquable. #Decleor caresse l’idée sans l’embrasser jamais tout à fait. L’Eau Dynamisante de #Clarins reste iconique en la matière.

    Mais peut-être que le phénomène le plus saillant de la tendance réside dans le fait que les actifs eux-mêmes explorent les possibles en étudiant les voies de signalisation le long de l’axe peau cerveau. Pour moduler les effets du stress sur la peau. Mais aussi, comme le Glycuron 2.78 de Seqens, le Neurophroline de Givaudan ou le SymDstress de Symrise, pour agir en retour sur le cerveau en produisant des effets positifs sur les émotions !

    Dans ce contexte, je m’étonne de voir assez peu les fournisseurs d’ingrédients texturants s’engager sur le terrain des émotions et rester encore largement cantonnés à l’analyse sensorielle. Lucas Meyer Cosmetics s’y est intéressé, mais cela reste rare. Pourtant le moment est propice : le développement d’ingrédients biosourcés fait à appel à des matières dont le potentiel sensoriel s’accorde enfin au potentiel narratif – il n’était peut-être pas évident de faire rêver sur les silicones!

    le soin cosmétique n’est pas tant un soin de la peau qu’un soin de la peau seconde, le Moi Peau.

    Or, considérons un instant le geste premier de l’évaluation d’un produit cosmétique. On applique une noisette de produit sur cette partie charnue de la main entre le pouce et l’index (le hoku chinois) pour en apprécier la texture. Puis on porte sa main au nez pour en apprécier le parfum. En revenir au geste nous rappelle que le cosmétique est éminemment sensoriel. Et donc, par nature, nécessairement émotionnel. Se pourrait-il qu’à force de focaliser la science sur les actifs, on ait oublié le rôle de la texture, la reléguant à n’être que le véhicule de l’actif, cœur noble et innovant de la formule ! Se pourrait-il que notre culture dualiste ait une fois de plus séparé le corps et l’esprit, vouant à l’invisible (le parfum, l’actif) l’essentiel de l’efficacité du cosmétique. Mais alors quel formidable détour !

    En regard de la dermatologie, je tiens que la cosmétique a trois matières fondamentales qui lui sont propres : la texture, le parfum… et le texte (celui de la narration). Trois matières par lesquelles la cosmétique agit sur la peau, l’imagination et les émotions. Les trois sont intimement liés comme le seraient un talisman et les invocations qui l’activent. Par-là, nous saisissons que le soin cosmétique n’est pas tant un soin de la peau qu’un soin de la peau seconde, celle que Didier Anzieu appelait le Moi Peau.

    Reste à trouver la méthode. Le parfum est affaire de création. C’est ce qui fonde son efficacité. L’émotion est certes déclenchée par des molécules, mais elle est d’abord un fait artistique. La texture devrait être portée davantage du côté de la création. D’ailleurs, d’aucuns aimeraient promouvoir un peu mieux le tour de main des maîtres formulateurs. Le texte quant à lui, peut être créateur à condition toutefois de ne pas se limiter pas à décrire ce qui est déjà pour faire advenir ce qui pourrait être…

    Alors ? Et si on mettait un maître formulateur, un nez et un « beauty-writer » dans un laboratoire (ou un jardin) ? Se pourrait-il que l’on invente de nouvelles catégories produits où la texture cesse d’être l’accessoire de l’actif pour participer d’une proposition pleinement et holistiquement active ? J’imagine des soins cocons, dont l’expérience serait l’objet premier, privilégiant le geste-caresse, le toucher actif et apaisant. Formuler des textures qui donneraient corps au parfum et proposer ainsi de nouveaux voyages. Concevoir un parfum à partir d’une texture pour en augmenter l’expression végétale… Penser un hydratant depuis la palette d’émotions qui s’y accorde et sélectionner l’actif dans le même mouvement… Bref, défaire les séquences habituelles de la conception pour en proposer de nouvelles qui prendraient l’émotion comme point de départ et l’agencement parfum-texture-texte comme dispositif créatif.

    L’idée est lancée. Re-Source!, studio de création volontiers iconoclaste, invite marques ou fournisseurs à tenter l’expérience.